Riche et intéressante journée s’il en est! Bien que notre rythme fut lent afin de prendre le temps et d’observer, le temps a filé. Impossible de relater tout ce que Aurélien, notre guide, nous a expliqué sur une distance de 5km. Nous avons pu nous informer sur quelques principes de précaution pour l’installation d’éoliennes en regard aux populations de milans royaux. Cette espèce se porte très bien en Belgique contrairement aux populations d’Allemagne. Pourquoi? Des observations sur le terrain tendent d’apporter des explications dont voici la plus probable. L’Allemagne est l’un des pays précurseur dans le développement des énergies douces. Les éoliennes de l’époque étaient de taille réduite. Or les milans recherchent leur nourriture au sol (par ex. des campagnols dans les foins) et volent donc à une altitude assez basse avec une position de la tête presque constamment orientée vers le sol, réduisant pour une part leur champ de vision. Les éoliennes actuelles sont beaucoup plus grandes ( 250m parfois), plaçant les hauteurs de dégagement des palles plus éloignées du sol. Ces conditions offrent un net avantage pour les milans royaux.
Et si l’on considère d’autres espèces? L’impact sur les populations de chauves-souris peut varier fortement d’une espèce à une autre. Les rhinolophes sont quasiment non impactés contrairement aux sérotines qui volent à une altitude plus importante. Quant aux grues cendrées, elles repèrent de très loin les champs d’éoliennes lors de leurs migrations, elles choisissent de les contourner prudemment.
Toujours au chapitre « oiseaux », dès la sortie du village des traces de fientes sur un mur signalaient la présence d’un nid. Mais de qui? Il s’agissait d’un couple d’étourneaux sansonnet qui nous ont contournés le bec empli d’insectes. S’en suivront des explications et des échanges à propos des nichées de moineaux domestiques. Plus tard, dans les foins fraichement fânés, maître renard est assis avec pour compagnie prudente deux pies. Survient ensuite un bel exercice d’observation : repérer l’alouette des champs, dont seul le chant nous indique sa présence. Mais où est-elle dans ce ciel immense? Chacun fini par repérer un petit point noir : c’est bien elle! On ne lâche plus les jumelles. Elle papillonne dans un gazouillis caractéristique, on la suit jusqu’à son retour au sol, rejoignant ainsi son territoire de nichée.
Présentation de la mâche et de la fumeterre officinale poussant en bordure des cultures de colza. Pour la fumeterre il s’agit d’une plante dite « messicoles » c’est-à-dire qu’elle a besoin d’un sol fraichement retourné pour germer. C’est le cas également du coquelicot, du bleuet. Pourquoi ne voit-on plus de fleurs dans les cultures de céréales? Bien entendu les herbicides ne sont pas à leur avantage. Un autre facteur limitant sont les techniques modernes de triage des semences des céréales. Ces techniques sont devenues performantes donc très sélectives. Ainsi les graines des plantes messicoles sont écartées et donc non ressemées avec les blés. Seules quelques unes échappent avant les récoltes et attendent durant l’hiver le prochain labour.
Plus loin le paysage se transforme suivant des courbes discrètes. Les arbres se font plus nombreux. Les verts se déclinent « en ton sur ton » entourés du jaune des genêts en fleurs, des bruns des écorces ou de la terre et des nuances de gris. Dans une petite dépression formée par un ruisseau, se love une prairie humide. Aurélien a repéré une pie grièche-écorcheur. Vite dans la longue-vue! Ensuite ce fut au tour du tarier pâtre, d’un bruant jaune (trop furtif) et des buses variables.
Saviez-vous que certaines plantes, comme une laiche (carex) cueillie au bord du chemin, possèdent leurs organes reproducteurs placés à différentes hauteur sur la tige? En effet les fleurs femelles sont disposées plus bas que les fleurs mâles. Le pollen de ces dernières sera emporté par le vent, réduisant ainsi une part importante d’autofécondation. Vive la diversité!
Nous arrivons en bordure de la réserve naturelle dite de « La Mine ». Première escale devant une plante rare : l’ophioglosse, fougère très ancienne dans l’histoire de l’évolution. La feuille (appelée fronde chez les fougères) est constituée d’un limbe entier (sans aucune découpure) et les indusies (petits amas bruns contenant les spores) sont disposées sur une sorte d’épi au lieu d’être sur la face inférieure des frondes, comme pour toutes les autres espèces de fougères. Aurélien nous raconte que cette petite colonie a bien failli disparaitre malencontreusement sous plusieurs mètres cubes de broya. Heureusement le conservateur veille et avec l’équipe de terrain d’Ardenne & Gaume asbl, toute cette matière organique a été déplacée, dégageant ainsi cette belle station. Cette espèce est en nette régression, elle est à protéger absolument.
Quelques données à propos du site minier :
Découverte d’un gros bloc de galène en 1819 par un paysan travaillant la terre de la fagne. Mise en exploitation en 1827. Mine de galène (sulfure de plomb)
Usages : 1er temps, vendu pour des potiers qui créaient des vernis en passant par le processus de la céruse (Pb CO3). Plus tardivement le minerai fut lavé et trié, séparant la blende (Zn1) et la pyrite (FeS2). De la galène on récupérait 30gr d’argent/tonne.
Les puits descendront jusqu’à -110m, ensuite jusqu’à -172m. Les pompes chargées d’extraire l’eau des galeries étaient placées à -185m. Nombre d’ouvriers : 220. Un petit village s’est formé avec l’établissement de 7 maisons, 1 forge, 1 magasin, 1 scierie. Fin de l’exploitation en 1877. Abandon définitif en 1901. Plus aucune trace de cette activité humaine n’apparait aujourd’hui, si ce n’est une croix gravée en bordure de la route et quelques vestiges de murs recouverts de broussailles.
Le site présente donc un sol naturellement pollué, dès sa surface sous forme d’affleurements. Le faciès actuel est similaire à celui d’il y a 200 ans. Les 2 photos actuelles et une reproduction d’une carte postale de l’époque en attestent. La végétation qui s’y développe peine à survivre. Juste quelques genêts et de petits bouleaux qui s’installent en bordure du site aujourd’hui. Seules les espèces acceptant génétiquement des teneurs élevées en métaux lourds peuvent y survivent. Ce type de milieu se définit sous le terme de halde calaminaire.
Un peu en retrait de cette halde apparait dans les herbes UN plant de polygala (Polygala vulgaris) connu à ce jour. Comme nous l’a expliqué Aurélien, il est le signe d’un potentiel retour vers le re développement d’une lande herbacée. Une gestion progressive est mise en place : une coupe de résineux a été réalisée en février 2022. Prochaine étape : dégager encore quelques rémanents et constituer des haies sous forme de rideaux créant des écrans et abris à des espèces qui n’attendent que cela. Aider la famille de blaireaux à maintenir son installation en toute en sécurité (car la chaussée qui jouxte la réserve est fort fréquentée par les autos) par la pose de clôtures et de portes à blaireaux. Mais il faudra apprendre aux blaireaux à bien franchir les portes. Il parait que le beurre de cacahuètes pourra les y aider. Inventaires, suivis de l’évolution, gestions voilà le programme des 10 prochaines années. Un conservateur d’une réserve naturelle est toujours amené dans une réflexion globale, avec l’aide de personnes qui connaissent l’écologie des différentes espèces présentes ou potentiellement capables de (re)venir dans ce type de milieu naturel, c’est aussi permettre de réveiller les graines enfouies qui sont là, comme endormies. C’est favoriser l’expression naturelle de la vie pour préserver des espèces sensibles, fréquentes ou plus rares. C’est toujours un hymne à la vie.
De retour vers le village de Oberwampach qu’avons-nous eu a chance de voir ? Une cigogne noire! Il s’agissait d’un juvénile, présentant un poitrail de teinte brunâtre (il devient blanc à l’âge adulte) et autre indication, cet oiseau était bagué. Tranquillement elle s’est envolée pour rejoindre une autre prairie d’où nous avons pu encore nous en émerveiller de nombreuses minutes.